Les deux titres forment-ils une série narrativement cohérente ?
Il est au moins un point qui les réunit sans ambiguïté : leur conception renvoie à celle des contes de fées. Ico et SotC touchent l'inconscient, ouvrent une porte sur le fantasme comme très peu de jeux ont sû le faire avant eux. Et ce n'est que par le filtre de l'interprétation symbolique qu'ils trouvent leur véritable consistance. Ce qui se situe à l'extérieur du château d'Ico, ou au-delà du pays interdit de SotC, est un mystère complet. Le château et le pays abandonné symbolisent des espaces mentaux qui reflètent le parcours psychologique de nos protagonistes : à chaque fois, ce sont un garçon et une fille qui vivent leur relation de manière exclusive, sans jamais rencontrer d'autres humais susceptibles d'interférer. Il s'agit de récits initiatiques liés à la puberté (découverte de soi) et à l'amour (découverte de l'autre). Mais sur le plan strictement symbolique, Ico semble plus abouti que SotC. Il reste volontairement énigmatique et tout est laissé à l'interprétation. SotC, en revanche, gâche un peu sa portée métaphorique par un interminable épilogue qui justifie tout ce qui a précédé. Si cette trame très (trop ?) claire ne contredit pas la portée symbolique du jeu, elle rend cette dernière moins évidente.
Ico : prisonnier de soi-même
Ce postulat n'est pourtant pas anecdotique, et la suite de l'aventure ne peut s'interpréter qu'en s'y référant constamment. Que l'enfermement soit consécutif à l'apparition des cornes permet une analogie avec la puberté : les cornes symbolisent l'expression d'une sexualité naissante. Comme tous les adolescents avant lui, notre héros est tiraillé entre ses pulsions nouvelles et un milieu social dont la domination lui paraît désormais oppressante. Le château, dont il doit s'échapper, figure ainsi la perception que le personnage a de son propre monde : un univers carcéral dont les remparts surplombent un ailleurs forcément meilleur. Yorda, la jeune fille qui va s'évader à ses côtés, connaît un parcours identique, clairement identifié à la puberté : blancheur virginale, domination d'une mère abusive, ombres qui symbolisent le refoulement...
Les deux visages de l'autre
SotC : l'amour conquérant
Mais d'emblée, les deux titres se distinguent par une différence de taille : le héros ne subit jamais la situation, mais la provoque. Et l'objet de sa conquête est l'amour : celui de cette jeune femme plongée en catalepsie. Cet endormissement, assimilé à la mort, évoque forcément celui de La Belle Au Bois Dormant, et peut s'interpréter de la même manière : le poids de la société interdit aux amants de communiquer et de vivre leur passion. Une lecture confirmée lorsque se précise la silhouette inquiétante d'un grand prêtre, gardien du dogme et de l'interdit. Pour libérer sa dulcinée et vivre enfin avec elle une relation amoureuse épanouie, notre Roméo va devoir abattre les fondements même de la société. Dans SotC, ces fondements sont donc incarnés par les seize colosses, créatures anté-diluviennes et mythologiques. Évoquant des créatures fabuleuses, sans doute à l'origine de légendes ancestrales, les colosses témoignent des origines même de la culture du monde. Et ce n'est pas un hasard si on les trouve la plupart du temps à proximité, voire au coeur des ruines d'antiques civilisations. Dans cette optique, le pays interdit, où se situe l'action, est la pierre d'achoppement de la société des hommes, la mémoire de leur mémoire et de leurs institutions. Lorsqu'il a fini de détruire tous les colosses, le héros parvient à l'absolu de sa quête : une liberté sans concession, sans cesse partagée entre anarchisme et romantisme exacerbé.
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