dimanche 19 octobre 2008

Romantique ou anarchiste ?

Les amis, aujourd'hui je vais vous parler de deux jeux, qui ont et qui continueront à marquer les esprits des joueurs : Ico et Shadow Of The Colossus (SotC).

Les deux titres forment-ils une série narrativement cohérente ? 

Il est au moins un point qui les réunit sans ambiguïté : leur conception renvoie à celle des contes de fées. Ico et SotC touchent l'inconscient, ouvrent une porte sur le fantasme comme très peu de jeux ont sû le faire avant eux. Et ce n'est que par le filtre de l'interprétation symbolique qu'ils trouvent leur véritable consistance. Ce qui se situe à l'extérieur du château d'Ico, ou au-delà du pays interdit de SotC, est un mystère complet. Le château et le pays abandonné symbolisent des espaces mentaux qui reflètent le parcours psychologique de nos protagonistes : à chaque fois, ce sont un garçon et une fille qui vivent leur relation de manière exclusive, sans jamais rencontrer d'autres humais susceptibles d'interférer. Il s'agit de récits initiatiques liés à la puberté (découverte de soi) et à l'amour (découverte de l'autre). Mais sur le plan strictement symbolique, Ico semble plus abouti que SotC. Il reste volontairement énigmatique et tout est laissé à l'interprétation. SotC, en revanche, gâche un peu sa portée métaphorique par un interminable épilogue qui justifie tout ce qui a précédé. Si cette trame très (trop ?) claire ne contredit pas la portée symbolique du jeu, elle rend cette dernière moins évidente.

Ico : prisonnier de soi-même

Ico raconte l'histoire d'un garçon retenu contre sa volonté dans un immense château, et dont l'impulsion unique est de s'en évader. Il se place d'emblée dans un position de victime. Mais victime de qui ? Des membres de son propre clan. Pourquoi ? Le garçon en fournit fugitivement l'explication, lorsqu'il évoque une tradition séculaire qui pousse les siens à « sacrifier » ainsi tous les jeunes hommes qui voient des cornes pousser sur leur crâne. Une fois posé ce principe, le jeu semble s'en désintéresser pour ne raconter que la fuite du garçon et de sa compagne d'infortune, la diaphane Yorda. Par la suite, plus rien ne vient expliquer la nature et la finalité de ce rituel, bien que celui ci soit à l'origine de tout. 

Ce postulat n'est pourtant pas anecdotique, et la suite de l'aventure ne peut s'interpréter qu'en s'y référant constamment. Que l'enfermement soit consécutif à l'apparition des cornes permet une analogie avec la puberté : les cornes symbolisent l'expression d'une sexualité naissante. Comme tous les adolescents avant lui, notre héros est tiraillé entre ses pulsions nouvelles et un milieu social dont la domination lui paraît désormais oppressante. Le château, dont il doit s'échapper, figure ainsi la perception que le personnage a de son propre monde : un univers carcéral dont les remparts surplombent un ailleurs forcément meilleur. Yorda, la jeune fille qui va s'évader à ses côtés, connaît un parcours identique, clairement identifié à la puberté : blancheur virginale, domination d'une mère abusive, ombres qui symbolisent le refoulement...

Les deux visages de l'autre

Ico et SotC ont tous deux pour figure centrale un couple de marginaux, dont le destin passe forcément par un conflit direct avec l'autorité dominante (la famille dans Ico, la Loi dans SotC, comme on le verra...). Ce qui varie d'un titre à l'autre, en revanche, c'est la nature de ce couple et ce qui le réunit. Dans Ico, le garçon et la jeune fille ne se choisissent pas : c'est la necessité qui les pousse à rester ensemble. Elle seule peut ouvrir les portes qui leur barrent la route, mais elle ne peut les atteindre sans lui. Le rapport à l'autre est ici strictement instrumental, et ne laisse guère de place au sentiment. Yorda n'est pas en soi l'objet de l'intêret d'Ico, mais elle lui est indispensable. À l'inverse, dans SotC, c'est le sentiment amoureux qui relie les deux protagonistes. Et le héros n'agit que dans l'intêret exclusif de l'autre, sans jamais se soucier de sa propre sécurité. On peut y voir une vraie évolution : le héros est passé du sentiment introverti vers le sentiment extraverti, et s'il faut trouver une transition entre ces deux états, elle se situe à la fin d'Ico : enfin échappé de la forteresse, le garçon s'échoue sur une plage où il retrouve Yorda, dégagée de l'emprise maternelle. À cet instant même, ce sont leurs sentiments, et non une necessité quelconque, qui les rapprochent.

SotC : l'amour conquérant

Dans SotC, le héros viole un tabou, celui qui interdit l'accès à un pays abandonné. Il amène avec lui le cadavre de la jeune femme qu'il aime, et se voit proposer un marché par une puissance supérieure : vaincre seize colosses qui peuplent ces terres, et ainsi ressusciter sa bien-aimée. On retrouve un certain nombre des éléments constitutifs d'Ico : l'espace interdit, la jeune fille en état de dépendance, une quête individualiste et contestataire à l'encontre de l'ordre établi. 

Mais d'emblée, les deux titres se distinguent par une différence de taille : le héros ne subit jamais la situation, mais la provoque. Et l'objet de sa conquête est l'amour : celui de cette jeune femme plongée en catalepsie. Cet endormissement, assimilé à la mort, évoque forcément celui de La Belle Au Bois Dormant, et peut s'interpréter de la même manière : le poids de la société interdit aux amants de communiquer et de vivre leur passion. Une lecture confirmée lorsque se précise la silhouette inquiétante d'un grand prêtre, gardien du dogme et de l'interdit. Pour libérer sa dulcinée et vivre enfin avec elle une relation amoureuse épanouie, notre Roméo va devoir abattre les fondements même de la société. Dans SotC, ces fondements sont donc incarnés par les seize colosses, créatures anté-diluviennes et mythologiques. Évoquant des créatures fabuleuses, sans doute à l'origine de légendes ancestrales, les colosses témoignent des origines même de la culture du monde. Et ce n'est pas un hasard si on les trouve la plupart du temps à proximité, voire au coeur des ruines d'antiques civilisations. Dans cette optique, le pays interdit, où se situe l'action, est la pierre d'achoppement de la société des hommes, la mémoire de leur mémoire et de leurs institutions. Lorsqu'il a fini de détruire tous les colosses, le héros parvient à l'absolu de sa quête : une liberté sans concession, sans cesse partagée entre anarchisme et romantisme exacerbé.

jeudi 16 octobre 2008

[Cinéma] The Dark Knight

Désolé pour cette review un brin (euphémisme, quand tu nous tiens) en retard de ce chef d'oeuvre qu'est The Dark Knight. Enjouaillez quand même ! ;]


"Le Chevalier Noir" (The Dark Knight) de Christopher Nolan (USA) ; avec Christian Bale, Maggie Gyllenhaal, Heath Ledger, Aaron Eckhart, Michael Caine, Gary Oldman...


Avec l'aide du lieutenant Jim Gordon et du nouveau Procureur Harvey Dent, Batman entreprend de nettoyer Gotham City des dernières organisations criminelles qui l'infestent. Mais les trois hommes devront bientôt compter avec un nouvel ennemi beaucoup moins prévisible et facile à cerner que les traditionnels mafieux : le mystérieux et insaisissable Joker...

Tendu comme un slip de satin noir moulant, toujours sur la brèche, toujours sur le fil et pourtant pétaradant à souhait, voici venir avec pertes et fracas le nouvel opus des aventures du Dark Crusader que d'aucuns présentent comme le meilleur de la saga.

Et le pire (ou pas), c'est qu'ils ont raison, les bougres...

Car si l'on excepte peut-être le "Batman - Le Défi" de Burton, que l'on continuera à porter dans nos coeurs, avouons-le, pour des raisons essentiellement madeleinedeproustesques, ce deuxième Batman version Nolan se présente effectivement comme un sommet du genre.
Et comme un sommet du film de super-héros tout court, d'ailleurs, n'ayons pas peur des mots.

Grâce en soit rendue à l'artisan Nolan, grand cinéaste en devenir, qui se met entièrement au service de son film et de son (ou plutôt devrait-on dire "de ses") personnage(s) avec une humilité, une franchise et un premier degré désarmants et totalement salutaires.

Ce qui nous donne, cowabunga!, un film encore plus "réaliste" (oui, faut des guillemets quand même, ça reste un film de justicier en costume, hein, après tout... ) que son prédécesseur, le pourtant déjà très vroom vroom "Batman Begins".

Puissant, sombre, intense, palpitant tout en n'oubliant jamais de divertir (il y a même un petit côté "James Bond" dans certaines scènes) "The Dark Knight" réussit le tour de force de rendre à la fois hommage à un certain cinéma US des années '70 (L'Age d'Or, L'Age d'Or !, crieraient même les quelques vieux cons du fond), d'entamer une réflexion sur la surenchère sécuritaire américaine actuelle et d'être avant tout un thriller pur jus, rempli jusqu'à la gueule de scènes d'anthologie.

Le tout tendu sur une structure narrative en béton, chariant un sous-texte maousse-costaud qui n'est d'ailleurs pas sans rappeler, coïncidence troublante, celui d'un récent "Hancock"...

Mais cependant, la cerise sur le gâteau, elle, est à chercher du côté uniformément impressionant de l'interprétation...

De Christian Bale, le Bruce Wayne le plus crédible de l'Histoire depuis Michael Keaton (qu'il parvient même à faire oublier, le salopio !) à Aaron Eckhart, sidérant d'ambiguïté dans le rôle pourtant très touffu du procureur Harvey Dent, futur Double Face, en passant évidemment par les à jamais déléctables Michael Caine ou Gary Oldman, tout le casting réussit un travail de fond étonnant, renforçant s'il en était encore besoin la solidité de l'édifice bati par cet invraisemblable styliste qu'est Christopher Nolan.

Avec mention spéciale, bien entendu, à feu Heath Ledger, qui livre probablement ici la performance de sa carrière (reste à voir le Gilliam qui doit sortir bientôt) et qui traverse le film en apensanteur, créant de toute pièce un véritable Nouveau Joker qui parvient à balayer le souvenir de celui créé jadis par un certain Jack Nicholson...

Alors évidemment, tout n'est pas parfait, non...

Comme pour la plupart des films de ce genre, certains pourraient reprocher à "The Dark Knight" de souffrir d'un très léger surpoids, et juger que le film aurait pu être emputé d'une petite demi-heure (allez, même pas vingt minutes !!).
Et puis, histoire de chipoter (ba oui, faut bien laisser encore un peu de marge pour le troisième épisode), on pourra reprocher à certaines des scènes finales de ne pas vraiment briller par leur lisibilité...

Mais malgré tout, grâce à son réalisateur et à ses interprêtes bien sûr mais aussi grâce à la nouvelle dimension quasi mythologique qu'il réussi à atteindre ici, ce Chevalier Noir finit bien par gagner à la fin.
Et par tout emporter sur son passage.

Pour un nouveau départ...